Après avoir consacré trente années de sa vie au collège Pierre De Geyter, Monsieur Gaigher (comme il tenait à se faire appeler par les élèves) ou plus simplement Gilles, pour tous les collègues, n’est plus. Monsieur Gaigher nous a quitté, bien malgré lui, après avoir courageusement lutté contre la maladie qui l’a emporté. Tous les élèves et les collègues qui l’ont croisé ont un souvenir ou une anecdote le concernant.
Les règles administratives liées aux congés maladie de longue durée lui ayant fait perdre son poste au collège, tous les collègues avaient souhaité rendre un hommage à Monsieur Gilles Gaigher à l’occasion de son départ officiel de l’établissement, même si lui-même ne pouvait être présent. Cela s’est donc déroulé à l’occasion de la cérémonie de départ de plusieurs professeurs en cette fin d’année scolaire.
Parmi ceux qui l’on le mieux connu, son ami Iannis Roder avait souhaité lui rendre un hommage particulier par un discours qui a beaucoup touché les personnes présentes.
Ce discours n’avait pas vocation à être posthume mais il retrace tellement bien la trajectoire et la présence de Gilles Gaigher au sein du collège que Monsieur Roder a accepté de le partager avec nous tous ici. Nous l’en remercions.
Discours pour mon ami Gilles Gaigher, par Iannis Roder
« Il va falloir que vous vous occupiez du voyage au Futuroscope pendant que je ne suis pas là ». Cette phrase, Gilles Gaigher l’a tenue avant de partir en congé longue maladie et elle résume assez bien l’état d’esprit de Gilles, son éternel optimisme et son indéfectible attachement aux élèves.
Gilles est arrivé au collège Pierre De Geyter en septembre 1989, jeune prof de Technologie. Il avait alors 28 ans, plein d’entrain, de volonté et de… cheveux.
Cela fait donc 31 ans que Gilles a franchi pour la première fois les grilles du collège qui ne ressemblait pas à celui que vous connaissez aujourd’hui. Une école primaire y était attenante et le collège n’avait pas encore été refait. Gilles commença à y enseigner la technologie, discipline alors nouvelle et très vite il s’est imposé comme un professeur engagé et est rapidement devenu une référence dans sa discipline. Formateur académique puis chargé d’inspection, il fut directeur de collection d’un grand éditeur de manuels scolaires. Il était devenu la référence en France.
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Pendant des années, il fit un mi-temps au collège et nous pouvions voir régulièrement ses stagiaires venir prendre un café en salle des professeurs. Gilles Gaigher aimait alors s’amuser en effrayant ces jeunes gens fraîchement débarqués de leurs provinces et qui s’étaient perdus dans le 9-3. Vincent Alran arrivait ainsi, la mine déconfite, à la récréation, vers Gilles en disant : « tu as vu la mise à l’air que les élèves ont fait au prof de maths ? C’est chaud en ce moment ! » et Gilles, qui gardait son sérieux, de renchérir : « c’est la troisième fois cette semaine, il faut que la direction fasse quelque chose »… On voyait alors les visages des stagiaires se décomposer.
Nous nous sommes payés de belles tranches de rigolades et de très beaux moments au collège avec Gilles. Avec les élèves, il a monté de multiples projets comme par exemple le jeu de plateau Athlé Ludo qu’ils avaient inventé, en 2003 au moment des championnats du monde d’athlétisme et qui reçut un prix national, jusqu’au dernier qu’il a monté avec moi et que nous faisions ensemble, Interclass.
Les beaux moments de Gilles au collège furent aussi ceux de sa rencontre avec sa compagne, Aldja, elle aussi arrivée en septembre 1989 comme professeure d’anglais. Leur histoire est apparue un peu clandestinement dans le documentaire « une vie de prof » en 1994, dans lequel Gilles occupe une place centrale. Ce fut d’ailleurs le premier documentaire sur l’enseignement dans nos territoires. On aperçoit aussi Gilles dans le deuxième documentaire, tournée en 2000 celui-là, et qui s’appelait « Mme la Principale ».
Le succès d’ « Une Vie de prof » fut tel que Gilles fut alors contacté par le cabinet du Ministre de l’Education nationale de l’époque, François Bayrou lequel lui proposa un poste de conseiller. Gilles, qui ne perdait pas le nord, a alors tenté de négocier un poste d’Inspecteur. Mais on lui fit savoir que ce n’était pas possible car il n’y avait alors pas d’inspecteurs en Technologie et François Bayrou n’a pas voulu créer de poste d’inspecteur pour Gilles. On lui proposa un poste de chef d’établissement dans un grand lycée, ce qu’il refusa. Il n’a pas intégré le cabinet du Ministre et il a fait le choix de rester avec ses élèves et ses collègues au collège Pierre De Geyter.
Un peu plus tard, il dut intenter un procès à la boîte de production qui avait sorti le film « Le plus beau métier du monde » avec Gérard Depardieu et Souad Amidou, Depardieu jouant le rôle de Gilles Gaigher car ce film s’inspirait fortement de l’histoire de Gilles et Aldja sans que ceux-ci ne fussent ni consultés ni même prévenus. Le collège, dans ce film, s’appelle Serge Gainsbourg et une grande partie du film fut tourné ici.
Gilles n’a pas choisi de quitter le collège, il n’a pas choisi de perdre son poste ni sa salle 105, laquelle devrait peut-être s’appeler un jour « salle Gilles Gaigher ». Il n’a jamais demandé à partir mais des raisons administratives l’ont obligé à renoncer à son poste. Après avoir fait ce choix, très difficile, il a essuyé quelques larmes et je vous confesse qu’il ne fut pas le seul…
Trente ans au collège à œuvrer, pour les élèves, pour les parents, pour les collègues…
Gilles est un enfant de l’école publique, celle pour laquelle nous nous battons et dans laquelle il mettait toute son énergie mais aussi toute sa confiance comme en témoigne la scolarité d’Arnaud, son fils, qui fit toute sa scolarité au collège Pierre DeGeyter et a dû supporter, pendant 4 ans, Vincent Alran.
Son fils, dont il me parle souvent. C’est ainsi que j’ai pu suivre, semaine après semaine, la rédaction de la thèse de doctorat d’Arnaud, une thèse en biologie évolutive axée immunogénétique et conservation des espèces dont Gilles parlait avec passion et une touchante admiration. Je faisais semblant de comprendre ce qu’il me racontait car je ne comprends rien à la biologie évolutive axée immunogénétique et conservation des espèces… En 2017, il est allé à la soutenance de sa thèse, en Suisse. Il en témoignait une immense fierté.
Trente ans de vie professionnelle au collège Pierre De Geyter, ayant vu passer 8 chefs d’établissement, de l’inénarrable M. Steier dont Vincent pourrait vous parler longuement à M. Mercy aujourd’hui en passant par M. Brouzes qui nous fait l’amitié d’être là ou encore M. Souève avec qui il entretenait une excellente relation.
30 ans d’investissement, mais aussi 30 ans de lutte car Gilles a beaucoup fait grève à une époque, moins après… Il avait mûri…
30 ans de beaux moments et d’amitié, avec des collègues devenus des amis. Je pense à Didier, à Chantal, à Annie, à Sébastien, à Laurent ou à Vincent évidemment et à d’autres encore.
Gilles manque, il nous manque, il me manque, tous les jours. Tant de souvenirs, tant de moments partagés… Ce café de la récréation où nous nous retrouvions, riions ensemble et échangions sur nos vies respectives. Ces déjeuners dans tous les restaurants du coin, dont nous changions régulièrement au gré de ses envies et de ses affinités. Pas un pas dans Saint-Denis sans croiser d’anciens élèves : « Alors Monsieur Gaigher, ça va bien ? ».
C’est dur de déjeuner tout seul aujourd’hui, n’est-ce pas Vincent ? Vivement qu’il revienne, qu’il revienne déjeuner avec nous et que nous puissions à nouveau nous raconter nos vies et rire aux éclats.
Iannis Roder, Professeur d’Histoire-Géographie et ami de Gilles Gaigher
Gilles Gaigher va nous manquer…
Celles et ceux qui le souhaitent pourrons rendre un dernier hommage à Monsieur Gilles Gaigher ce jeudi 16 juillet à 15h30 au crématorium du cimetière du Père Lachaise, à Paris.